Accessibilité agile : audit exhaustif... ou avons-nous mieux en magasin ?

Le , par Laurent Denis - Accessibilité

Avertissement : cet article a été publié en 2011. Son contenu n'est peut-être plus d'actualité.

A l’inéluctable question « Et toi, qu’est-ce qu’il fait ton papa ? », ma fille eut un jour cette réponse fort lucide : « Mon papa, il fait des Zaudits. Beaucoup de Zaudits. » Précisons que le papa de ma fille unique et préférée est expert accessibilité.

J’ai en effet connu une période où je devenais une vraie machine à Zaudits. Des audits, des audits, toujours des audits, sur l’air du poinçonneur des Lilas ; et bien-sûr, des rapports, des rapports, toujours des rapports, sur fond de crépitement de clavier. De beaux et massifs rapports opérationnels, fondés sur l’intégralité des 187 tests RGAA ou des 305 tests d’Accessiweb déployé, truffés de compétence et livrant l’évaluation ultime et clinique de l’existant d’un site Web, exposée jusque dans ses plus infimes détails, façon écorché anatomique par l’homme de l’art.

De quoi rassurer le client sur le sérieux de votre prestation, certes. Mais est-ce le meilleur moyen de démarrer puis de poursuivre l’assistance en accessibilité d’un projet Web ? Est-ce par une batterie d’analyses spécialisées que vous aborde illico votre médecin traitant au premier symptôme ? Permettez-moi d’en douter, et de vous détailler la chose. La première recommandation qu’Elie et moi-même avons choisi d’évoquer lors de notre conférence Paris Web 2011 sur l’accessibilité agile s’intitulait « Halte aux audits lourds ». Voici pourquoi et comment, de mon point de vue.

L’audit canonique et ses limites

L’audit initial des contenus existants est le point de départ le plus fréquent des démarches accessibilité. En quoi consiste-t-il ? L’expert et vous-même convenez du choix d’une méthode d’application de la norme internationale d’accessibilité WCAG et d’un échantillon représentatif de vos contenus. Via les outils appropriés, l’expert passe au crible cet échantillon avec une longue série de tests portant sur le code, la pertinence des données, les modes d’accès au contenu, les interfaces… Tout ce qui relève de l’accessibilité est échantillonné et évalué systématiquement. Les résultats vous sont livrés exhaustivement. Tout est dit, ou presque. L’expert dit : « Yapuka ». Vous vous dites « Yakafaucon ».

Grâce à l’examen systématique des contenus soumis aux tests unitaires des méthodes d’application de WCAG2, cet audit a en effet le mérite :

  • de dresser l’état des lieux complet des atouts et des défauts d’accessibilité des contenus (disons, dans les limites de WCAG, qui elle-même n’épuise pas la totalité des questions d’accessibilité. Si votre but est l’accessibilité ultime ou si vous vous intéressez à l’ergonomie de l’accessible, contactez-moi à l’occasion d’une longue soirée d’hiver) ;
  • d’énumérer l’ensemble des corrections nécessaires et de permettre d’en mesurer le coût total (disons, au moins un coût a priori sauf imprévu. Vous ne le savez pas encore, mais l’audit initial ne mesurera en général et au mieux que 50% de la question) ;
  • de mettre totalement le projet sur les rails dès son lancement (sauf imprévu et dans la mesure où vous avez tout compris. Mais alors, si vous avez tout compris : aviez-vous vraiment besoin de moi ?).

L’audit est également rassurant pour le management du projet : rien ne risque d’être oublié ; tout est détecté initialement ; la qualité de l’évaluation est garantie par le recours à une méthode éprouvée et par la réputation des référentiels utilisés (ayant écrit une bonne partie du RGAA, je suis à même de le vous le vendre en toute confiance).

Mais cette pratique n’est pas sans défauts. Quelques constats d’usage :

  • L’audit est un outil lourd et coûteux, mobilisant longuement l’expert. Pourtant, la plupart des constats pour lesquels il va être mobilisé sont triviaux : seuls quelques-uns nécessitent réellement son niveau de compétence (vous n’avez aucun besoin d’un expert pour savoir qu’une partie de vos images n’ont même pas d’attribut ALT, le premier intégrateur/développeur venu connaît et utilise le même validateur HTML que moi…) ;
  • L’audit produit une masse d’information considérable, avec un niveau de détail peu lisible, voire dissuasif. C’est à vous qu’il revient en règle générale de distribuer cette information en interne : a priori, vos développeurs ne seront guère bien employés à savoir que la charte graphique comporte des choix problématiques de niveaux de contrastes de couleur…(Mais ne pourrions-nous pas faire cela plus directement ?) ;
  • En tant que grille d’analyse des contenus, l’audit n’est pas indispensable s’il s’agit de déterminer des axes majeurs où concentrer les moyens et les efforts : nous pouvons faire tout aussi bien plus vite, plus facilement (quelques requêtes sur votre site avec l’outil approprié me suffisent à savoir si vous entrez par exemple dans le cas de figure majeur « A fortement le souci PDF ») ;
  • Il est en fait difficile d’y faire ressortir les points saillants par lesquels le projet pourrait entrer plus immédiatement dans la démarche d’accessibilité : ceux qui ont un impact fort pour les utilisateurs, qui sont immédiatement parlant pour les acteurs du projet et sur lesquels ils ont immédiatement la main (a contrario, j’adore le moment de mon rapport d’audit où je vous parle de votre régie publicitaire, par exemple).
  • Il ancre le projet dans une logique plutôt passive et corrective, bien que l’on sache depuis longtemps que l’accessibilité est affaire de formation et de conception, non d’application et de remédiation (quoi que je fasse dans mon rapport, mon exemple de solution générique sera finalement… générique + RTFM) ;
  • Il pré-détermine des objectifs opérationnels arbitraires, hors contexte, qui pèseront sur la capacité de décision lors des inévitables aléas qui vont suivre avant la finalisation du projet (« Hop ? Donnez-nous une autre recette, là, vu qu’il a finalement été décidé que… ah bwa non, on n’a pas chiffré votre intervention…)
  • Il se résume souvent, malgré le souci de relever les points positifs, à un constat d’échec massif. Transformant l’accessibilité en quête initiatique découlant d’un message toujours plus ou moins cryptique façon Dan Brown, il peut dresser un véritable mur entre les intervenants du projet et l’inatteignable saint Graal de l’accessibilité. Il me fait passer pour un gourou inintelligible, et je n’aime pas cela. Vous non plus, si vous y réfléchissez…
  • Il est, de par son formalisme, inéluctablement réduit à l’accessibilité, quand celle-ci n’est qu’une composante de votre démarche qualité (comment vous parler des impacts performances par exemple lors d’un audit où je me dois de me cantonner à mon référentiel d’accessibilité ? Vais-je mettre une note en petits caractères en bas de page, que vous ne lirez très certainement pas ? En réalité, nous devrions pouvoir parler sans complexe d’accessibilité d’abord en tant que levier de la qualité, plutôt que de devoir en parler isolément pour elle-même : vous ne ferez vraiment de l’accessibilité que quand ses intérêts coïncideront avec les vôtres).
  • Que capitaliserez-vous de cet audit si votre démarche n’est plus celle d’un site, mais d’un parc de sites ? Votre problématique est-elle vraiment avant tout celle de l’exhaustivité ? Ou celle des priorités transversales ?Et donc d’un regard décomplexé sur les référentiels canoniques ?

Choisir l’outil adapté au contexte

Soyons résolument pragmatiques dans nos constats : l’audit classique n’est pas la panacée et surtout : nous savons faire plus habile que cela. Osons sauter ensemble dans le grand bain : les techniques d’évaluation rapide sont suffisamment mûres pour que l’accessibilité bascule résolument dans l’agile quand le contexte le permet.

De quoi avez-vous besoin lors du lancement d’un projet dans une démarche d’accessibilité ? Des 187 corrections potentielles à réaliser dans le cadre du RGAA ? Des 305 remédiations en puissance selon Accessiweb ? Y compris l’écriture d’une version de chaque contenu dans un niveau de langue situé, selon les normes établies par l’UNESCO, vers la fin du premier cycle de l’enseignement secondaire ? La gestion de vos abréviations et acronymes est-elle systématiquement prioritaire ? N’est-il pas probable que vos premiers efforts ne vont pas forcément porter sur la chaîne de production de vos PDF afin de les sémantiser tout en ne perdant pas le bénéfice de leur industrialisation ? Est-il bien pertinent de se colleter d’entrée de jeu avec la rédaction éditoriale des alternatives textuelles de vos quelques images d’illustration ? L’unique tableau de données de votre contenu nécessite-il la mobilisation immédiate de tout un chacun autour du CMS et de son éditeur défaillant ? Allons, cela suffit, personne n’est dupe.

D’après tout ce que j’ai vu au fil des très nombreux audits que j’ai livrés et suivis depuis quelques années, je doute que vous tiriez vraiment profit de la (très) longue liste des choses à faire que je vous dicte à l’occasion de cet audit, dont vous ne ferez pas la moitié et que vous auriez pu tout aussi bien que moi produire à partir de ces excellents outils que sont les méthodes d’évaluation WCAG, qui ne demandent qu’à être… appliquées.

Il me semble plutôt que je vous aurais été plus utile en vous permettant de mettre le doigt immédiatement sur ce qui, d’après vos contenus et dans votre contexte a toute chance d’être à la fois :

  • exemplaire quant aux pratiques à améliorer (c’est à dire formateur) ;
  • immédiatement perceptible pour la plus grande part de votre public concerné par l’accessibilité au premier chef (tant qu’à faire, améliorons déjà ce qui sera valorisable)
  • raisonnablement coûteux dans le cadre d’une politique de quicks wins (nous ne serons pas parfait, mais au moins, on le sait et on sait comment ça se soigne. D’ailleurs, on va de mieux en mieux et ça se mesure).

Il ne s’agit évidemment pas de proscrire l’approche par audit exhaustif. Elle a sa pertinence et reste indispensable dans différents cas. Mais efforçons-nous ensemble de faire bon usage de l’outil au bon moment :

  • Réservons l’audit avec un grand A aux nécessaires constats de succès (plutôt en fin de projet), évidemment surtout quand ils sont les plus pertinents pour répondre à un besoin d’attestation de conformité formelle (RGAA) ou de labellisation d’excellence (Accessiweb) ;
  • Dans tous les autres cas où l’audit tournerait au constat d’échec initial, privilégions une évaluation plus formative où la mise en relief des points positifs et de voies d’améliorations réellement à portée seront autant de points d’appuis pour une charge de travail plus précisément évaluée, gratifiante et efficiente ;
  • Évitons autant que possible cette avalanche d’information d’où les priorités opérationnelles et stratégiques peinent à se dégager et où le potentiel de montée en compétence de vos équipes est pour le moins indiscernable dans la masse des choses à faire en urgence ;
  • Libérons-nous de ce formalisme rigide qui va entraver la capacité à prendre des décisions en fonction du contexte pour la suite du projet et qui, là encore, limite votre capacité à améliorer vos moyens plutôt que vos résultats.

Notons incidemment que la question ne se pose pas dans ces termes quand il s’agit d’un expert qualité : celui-ci et ses outils ou méthodes sont en quelque-sorte plus agiles per se. Mais alors, pourquoi pas l’expertise accessibilité, elle aussi ? Comme quoi, nos métiers ont encore beaucoup à évoluer.

L’essentiel est ce constat : une autre approche peut rentabiliser bien mieux cet outil coûteux qu’est l’expert accessibilité. L’évaluation rapide, s’il faut la nommer, s’appuie sur :

  • un parcours des contenus dont la méthode est directement issue des méthodes d’échantillonage élaborées et éprouvées dans le cadre des audits (nous restons en terrain solide) ;
  • l’expérience experte en terme de problèmes récurrents (la valeur ajoutée de l’expert est notamment ici),
  • la capacité de l’expert à se projetter dans une simulation de situation utilisateur (sa valeur ajoutée est également là),
  • la détection heuristique de problèmes majeurs répondant à trois critères clés (et là, j’ai épuisé pour de bon mon expertise côté détection) :
    • l’impact sur les utilisateurs,
    • la facilité de correction,
    • le potentiel formateur pour l’équipe projet.

Je ne suis jamais très loin des critères canoniques lors d’une évaluation rapide. RGAA, WCAG, Accessiweb, etc. restent mon référent constant. Disons que je suis surtout très près de l’expérience que j’en ai acquise, où réside je pense ma véritable valeur ajoutée (avouons qu’il peut être profitable d’avoir commis quelques audits canoniques pour pouvoir passer à l’évaluation rapide…).

Bien-sûr, il va nous falloir accepter (vous comme moi) de gérer une part d’incertitude : tout n’a pas été évalué, seuls certains critères WCAG auront été pris en compte, l’avis n’est pas formellement dépendant d’une grille de tests unitaires, le livrable est moins immédiatement mesurable. Hum… Quoique… Les charges de travail sont en réalité plus précisément mesurables car mieux individualisées. WCAG sera prise en compte selon votre contexte. L’expert est au coeur de son métier à moindre coût.

Que va-t-on vous livrer ? On ne va justement pas vous “livrer”, aurais-je envie de dire. Je déteste à vrai dire ce terme qui me réduit au rang de magister quand mon rôle est avant tout d’être un facilitateur. Nous aurons évidemment le minimum de support nécessaire à la traçabilité de la mission, voire au-delà. Mais l’essentiel ne se sera pas joué dans un livrable massif : au-delà du livrable concis et ciblé, il se jouera dans l’échange formatif sera le cœur de la restitution. J’y comprendrai davantage sur votre contexte (dont vous êtes le meilleur expert), nous y affinerons les priorités détectées ainsi que les solutions adoptées, et peut-être se poursuivra-t-il directement auprès de tel ou tel autre composante de votre projet ou membre de votre équipe, sur les points précisément identifiés comme étant avant de leur ressort.

Sommes-nous outillés pour cette démarche ? Il nous faut à vrai dire bien peu de choses a minima
vos contenus, mes outils d’inspection, votre disponibilité quelques quarts d’heure et les plus habituels moyens d’échanges (mail, conférence téléphonique, etc.). Le meilleur outil de nos échanges sera la liste à puce : un avis méthodique, ciblé et utilisable. Au-delà, un gestionnaire de tâche associé à l’outil d’inspection nous aidera fortement par la suite.

Mais concluons pour l’essentiel de ce billet : plutôt que les trois ou quatre jours nécessaires à un audit exhaustif, vous pouvez donc mobiliser plus efficacement l’expert pour une demi-journée au plus consacrée à cette évaluation rapide et surtout à sa restitution sous forme d’un échange rapide et non magistral avec votre équipe, son chef de projet ou sa personne ressource. Il sera immédiatement centré sur des priorités à forte valeur ajoutée aussi bien pour l’accessibilité finale des contenus que pour votre montée en compétence. Il sera concret et opérationnel. Il favorisera tout autant votre appropriation des questions d’accessibilité qu’une compréhension plus fine de votre contexte par l’expert, permettant à chacun de capitaliser dans la suite du projet. Nous amorcerons un cycle d’échanges ciblés qui pourront se décliner avec chacun des intervenants au fil de l’avancement du projet. Plutôt que du one-shot correctif massif et directif, en nous concentrant à chaque pas et dès cette étape initiale sur des questions ciblées, prioritaires et formatives, nous avancerons pas à pas en terrain consolidé.

Faire bon usage de l’expertise

Il peut paraître surprenant de s’entendre dire qu’une évaluation rapide et moins formelle peut tout aussi bien, sinon mieux qu’un audit, mettre en évidence un first step : c’est à dire détecter les points saillants sur lesquels agir en premier lieu pour amorcer un cycle d’améliorations continues.

Suis-je en train de me tirer une balle dans le pied en affirmant que vous vendre une demi-journée expert vous sera d’un plus grand profit que les cinq jours d’audit pré-formattés ? Absolument pas. D’abord, un expert qui expertise bien est un expert heureux, et je suis plus efficace quand je suis heureux : franchement, j’ai fait assez d’audits pour savoir où et quand nous pouvons ensemble nous en passer. Ensuite et surtout, je vous propose d’amorcer un cycle d’itérations rapides, ciblées et formatives au fil de votre projet, ce que nous détaillerons dans les prochains billets sur les autres points abordés lors de cette conférence Paris-Web. Autrement-dit, restons sur une prestation de 3 ou 4 jours-homme, mais tâchons d’en faire un meilleur usage en substituant à la formule de l’audit massif la combinaison d’une évaluation rapide de départ et d’un premier ensemble de tickets d’échanges ciblés précisant celle-ci ;-)