Accessibilité : où s'arrêter ?

Le , par Laurent Denis - Accessibilité

Avertissement : cet article a été publié en 2010. Son contenu n'est peut-être plus d'actualité.

Le blog Temesis a le plaisir de vous proposer une discussion à bâtons rompus entre Laurent Denis, expert technique de l’accessibilité et Elie Sloïm, plutôt spécialisé dans les aspects méthodologiques de la qualité et de l’accessibilité Web.

Laurent Denis : Mon métier veut que je vois passer beaucoup de projets soucieux d’accessibilité. C’est une bonne chose, je m’en réjouis, comme tout un chacun est censé le faire. Mais il faut aussi savoir où s’arrêter. Pour ceux qui ne découvrent pas l’accessibilité, c’est un petit peu la question redoutable aujourd’hui. La vraie question n’est déjà plus “par où commencer”, comme il y a quelques temps, quand nous parlions d’accessibilité dans un vide sidéral, mais “où s’arrêter”.

Elie Sloïm : certes, Laurent, mais il ne faut pas perdre de vue que le nombre de personnes qui sont dans ce cas est encore assez limité. Allons-y quand même, et écoutons ce que tu as à nous dire.

Laurent Denis : Par souci de réalisme, nous allons nous placer dans l’inévitable erreur de départ de tous les projets : ils visent l’objectif “mes contenus sont accessibles” sans savoir que c’est un non-sens et que “mes moyens de production m’autorisent l’accessibilité” seraient déjà un raccourci plus probant.

Elie Sloïm : pour préciser ton propos, je dirais que l’erreur la plus fréquente se situe même en amont de l’affirmation “Mes contenus sont accessibles”. La plupart du temps, le propos réel est plutôt “Mon site est accessible”, souvent tenu par les décideurs. A mon sens, ce sont trois phases de maturité successives. 1 : “je veux un site accessible” 2 “Je veux des contenus Web accessibles” 3 “Je veux avoir les moyens de produire des contenus accessibles”.

Laurent Denis : Il y a de ces projets qui prennent l’accessibilité comme un saint Graal, objet d’un formidable potentiel de communication ou de légitimité. En fait, au terme des audits que vous allez demander, ils seront à peine partiellement accessibles, comme tout le monde, et ils peineront à communiquer si c’était leur seul axe d’existence. Mais si vous êtes un projet innovant soucieux d’accessibilité nous allons pouvoir mieux expliquer pourquoi vous n’êtes pas totalement accessibles. Évidemment, si vous êtes uniquement accessible mais au prix d’une peur de l’innovation, nous allons peiner ensemble.

Elie Sloïm : je suis totalement d’accord avec toi. L’accessibilité ne devrait pas être un “plus” sur un projet Web, mais un pré-requis industriel “normal”. Et c’est ce qui va se passer dans les années à venir. Il va devenir de plus en plus difficile de communiquer sur l’accessibilité de son site. Vos contenus Web sont accessibles ? C’est bien, mais c’est normal.

Laurent Denis : Il y en a encore d’autres qui comptent qu’une mécanique bien huilée va faire l’accessibilité à leur place. Oublions-les : ils en sont à la case départ, ils peinent eux-aussi, mais c’est normal. Ils sont dans un univers impitoyable où pour commencer et pour apprendre, c’est tout simplement plus cher.

Elie Sloïm : hé oui, il faut travailler. Les métiers de la qualité ne consistent pas à presser des boutons, mais à investir du temps et de l’argent pour un retour sur investissement pas toujours mesurable. Et en cela, le Web ne diffère en rien des métiers artisanaux ou industriels de la vraie vie.

Laurent Denis : Pendant un temps, l’accessibilité a été un formidable levier pour améliorer la qualité des sites dont nous nous occupions. Quand elle était une plus-value, un ressort pour découvrir des leviers très concrets de la qualité. Mais aujourd’hui, devenue une course à tout-va à la conformité, j’avoue que je crains qu’elle ne perde une large partie de son intérêt.

Si vous n’êtes pas au fait de ces questions, ne cherchez pas: appliquez le RGAA et tout autres recommandations d’accessibilité. Vous avez un grand profit à y trouver.

Mais si vous êtes déjà au fait de ces questions : si vous le pouvez, ne cherchez pas à être accessibles. Cherchez à faire du bon Web. C’est un peu la même chose, mais en mieux : utile, plus exigeant, moins scolaire. C’est aussi beaucoup plus intéressant.

Elie Sloïm : le qualiticien Web qui refuse de sommeiller en moi ne peut qu’être d’accord avec tes propos. La conformité totale en matière d’accessibilité est une surqualité ; et une utopie. Travaillons, donc.

Laurent Denis : ce billet est balisé en dépit du bon sens, mais c’était ça ou ne pas publier, faute de temps. Nous avons choisi d’éviter la surqualité.