Article 106, loi numérique, vers un web plus accessible ?

Le , par Aurélien Levy - Accessibilité

Avertissement : cet article a été publié en 2016. Son contenu n'est peut-être plus d'actualité.

Si vous n’avez pas suivi les précédents numéros, la loi numérique a récemment été promulguée par le Président de la République et a été publiée au journal officiel le 7 octobre.

Comme nous vous l’avions annoncé lors de précédents billets de blog, cette loi contient un article 106 qui a mis à jour le fameux article 47 de la loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des droits et de chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Nous allons donc voir dans ce billet ce qu’apporte ou supprime cette nouvelle version de l’article 47. Décryptage et lecture entre les lignes…

Une extension de la liste des structures concernées par la loi

Doivent également être accessibles aux personnes handicapées les services de communication au public en ligne des organismes délégataires d’une mission de service public et des entreprises dont le chiffre d’affaires excède un seuil défini par le décret en Conseil d’Etat mentionné au IV.

En plus des services de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent, sont désormais concernés :

  • Les organismes délégataires d’une mission de service public,
  • Les entreprises dont le chiffre d’affaires excède un seuil qui sera défini par décret.

On ne peut que se féliciter des ces évolutions. Eau, gaz, électricité, transport, courrier, banque, assurance, télécom, etc. ce sont des services indispensables qui devront désormais se conformer à la loi et être accessibles.

Pour les entreprises concernées, le seuil de chiffre d’affaires reste certes à définir mais le rapporteur de la loi, Luc Belot, a suggéré en commission mixte paritaire le chiffre de 150 millions d’euros (selon lui, c’est environ 250 entreprises qui sont concernées).

Ce chiffre peut malheureusement sembler bien trop peu élevé, surtout quand par ailleurs une commune de 5000 habitants aura les mêmes obligations. Mais c’est tout de même une évolution d’importance qui pourrait impacter la vie quotidienne de nombreuses personnes en situation de handicap. Il faudra cependant encore attendre le décret pour avoir le chiffre final et définitif.

Reste tout de même la problématique du référentiel à appliquer à ces acteurs. Je doute que les obligations franco-françaises spécifiques au RGAA allant au delà des exigences WCAG (Web Content Accessibility Guidelines - standards internationaux) soient très bien accueillies (respect des design patterns ARIA, obligation d’avoir liens d’accès rapides + landmarks + headings par exemple). Ils pourraient logiquement être perçus comme un coût supplémentaire et donc une baisse de compétitivité.

Le document d’accompagnement officiel du RGAA indique en effet qu’il est important de comprendre que si le RGAA est entièrement compatible avec les WCAG 2.0, l’inverse n’est pas forcément vrai.

L’évolution du périmètre des technologies et moyens de diffusion concernés

L’accessibilité des services de communication au public en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique, quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation

Premier changement à noter, le remplacement du terme services de communication public en ligne par le terme services de communication au public en ligne ce qui couvre plus clairement le cas des intranet / extranet puisque le public n’est pas forcément restreint au grand public.

et concerne notamment les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique.

Cette partie et particulièrement l’usage du terme notamment suppose donc qu’il est possible que d’autres choses soient concernées en dehors de cette liste (par exemple : les objets connectés, les bornes tactiles, etc). Il faudra donc prévoir de couvrir ces autres choses et comme le référentiel technique du RGAA ne les prend pas en compte actuellement, il restera à définir comment.

Par ailleurs, le RGAA actuel ne couvre pas non plus les applications mobiles (hormis via des annexes non obligatoires), les progiciels (terme restant à définir) et le mobilier urbain numérique (terme restant à définir).

Il serait logique que, jusqu’à ce que le RGAA intègre ces éléments, s’applique la version en vigueur de la norme européenne EN 301 549 qui couvre notamment le logiciel non web ou les terminaux de consultation eux-mêmes. Cela pourrait également être directement les WCAG elles-mêmes puisqu’il s’agit uniquement de grands principes hors de tout contexte technologique.

Les Ad’ap du numérique

Les personnes mentionnées aux premier et deuxième alinéas du présent I élaborent un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs services de communication au public en ligne, qui est rendu public et décliné en plans d’actions annuels et dont la durée ne peut être supérieure à trois ans.

Vous ne le savez peut-être pas mais, désormais, tout établissement recevant du public a l’obligation de publier un Agenda d’Accessibilité programmé (également appelé Ad’ap), sorte de calendrier de mise en conformité du bâtiment avec les obligations d’accessibilité du bâti.

Nous en avons désormais un cousin éloigné avec ce schéma pluriannuel et ces plans d’actions annuels.

Éloigné car, à ce stade, ce qu’il devra contenir et son contrôle restent à définir. Il faut espérer qu’un simple « je serai conforme en 2020 » ne soit pas suffisant. Surtout, les plus mauvais esprits pourront remarquer qu’il n’est pas encore indiqué dans quels délais maximum ce plan d’actions doit être publié (contrairement aux ad’ap pour lesquelles une date limite de publication était imposée). Certaines personnes auront donc intérêt à attendre le plus possible pour publier cet agenda puisque le délai de 3 ans débutera uniquement une fois qu’il aura été publié, si aucune date n’est imposée.

Même si tout cela part donc d’une bonne idée potentiellement utile, nous sommes pour l’instant dans une zone grise absolue où il faut espérer que le décret viendra tirer tout cela au clair sans pour autant produire un monstre de paperasserie administrative plus coûteux que la mise en conformité du site elle-même.

On notera au passage, que cela revient tout de même à réintroduire un nouveau délai possible pour se mettre en conformité, quand le décret article 47 publié en 2009 laissait déjà entre 2 et 3 ans pour se mettre en conformité.

Voir c’est croire

II.-La page d’accueil de tout service de communication au public en ligne comporte une mention clairement visible précisant s’il est ou non conforme aux règles relatives à l’accessibilité ainsi qu’un lien renvoyant à une page indiquant notamment l’état de mise en œuvre du schéma pluriannuel de mise en accessibilité et du plan d’actions de l’année en cours mentionnés au I et permettant aux usagers de signaler les manquements aux règles d’accessibilité de ce service.

La mise en œuvre de cet alinéa devra se traduire visuellement. Il faudra donc attendre le décret et espérer que l’on ne va pas se retrouver avec un équivalent du sempiternel bandeau de consentement aux cookies (proposé dans une fenêtre modale inaccessible, tant qu’à faire).

Oh oui fais-moi mal, j’aime ça

III.-Le défaut de mise en conformité d’un service de communication au public en ligne avec les obligations prévues au II fait l’objet d’une sanction administrative dont le montant, qui ne peut excéder 5 000 €, est fixé par le décret en Conseil d’Etat mentionné au IV. Une nouvelle sanction est prononcée chaque année lorsque le manquement à ces dispositions perdure.

Après la liste noire fantôme que nous avons traquée au cours des dix dernières années, voici donc apparaître une sanction financière ! Sur le montant, le législateur s’est inspiré de la sanction en cas de publication en retard des ad’ap, qui va de 1500 à 5000€. C’est peu mais attention, il s’agit ici de sanctionner le défaut d’affichage ou la non publication du schéma et non de sanctionner la non conformité elle-même. Qui plus est, la sanction étant calculée par sites/applis/progiciel/etc, cette somme peut rapidement augmenter quand on sait que certains acteurs ont jusqu’à plusieurs dizaines voir centaines de sites.

Au passage on notera la belle porte de sortie possible pour éviter la sanction : il est tout à fait possible de déclarer « je suis non conforme » et d’être ainsi en conformité avec la loi.

Petit tour de passe passe

IV.-Un décret en Conseil d’Etat fixe les règles relatives à l’accessibilité et précise, (…) et les conditions dans lesquelles des sanctions sont imposées et recouvrées en cas de non-respect des obligations prévues au II.

Et là, mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis, cette simple phrase vient de supprimer toutes sanctions en cas de non conformité elle-même, puisque les seules sanctions dont peut désormais faire mention le décret sont celles portant sur l’affichage sur la page d’accueil et le schéma et non sur la non conformité.

Le dernier recours pour les utilisateurs sera donc de s’appuyer sur la loi sur la discrimination à l’accès à un bien ou un service, ce qui finalement n’est peut être pas si mal que cela, puisque de toute façon, la pauvre liste noire fantôme avait un intérêt tout limité.

De plus, pour le par qui ? comment ? sur quel critère ? sera récupérée cette sanction et pour le comment ? à qui ? se plaindre (non pas de la non conformité mais du simple non affichage sur l’accueil ou de la publication du schéma), là aussi, il faudra attendre le décret pour en savoir plus.

Et il va où l’argent, le flouze, l’oseille ?

Ce fond peut également participer au financement des prestations destinées à assurer le respect de l’obligation d’accessibilité des services de communication au public en ligne, prévue à l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. ;

Après les récents pillages du FIPHFP et de l’Agefiph, on est en droit de se demander à quoi allait servir l’argent potentiellement récupéré par cette sanction pécuniaire, aussi faible soit-elle.

Le fond en question est le fond « National d’Accompagnement de l’Accessibilité Universelle » : chouette ! alors moi, petite mairie sans budget, je vais pouvoir me faire payer ma mise en accessibilité grâce à tous les méchants qui ne font rien sur l’accessibilité de leur site ?

Rien n’est moins sûr malheureusement car actuellement :

  • J’ai été incapable de trouver le décret précisant justement les membres du conseil de gestion de ce fond. Encore faudrait-t-il, donc, que ce fond existe réellement et que parmi les membres, certains connaissent un minimum le secteur du numérique.
  • Il est bien écrit « peut» et pas « doit. »
  • Il n’est également pas précisé qu’il doit financer de actions portant sur le numérique pour une somme à minima équivalente à ce que les sanctions sur le numérique rapportent.

Bon ben on fait quoi ma brave dame

On croise les doigts de la main pour que le décret ne soit pas bâclé juste pour pouvoir le sortir avant les élections. Cela dit, comme à ce jour le calendrier de publication des décrets ne mentionne pas du tout l’article 106, on croise aussi les doigts pour que le délai jusqu’à la publication du décret soit raisonnable, contrairement à celui de la loi de 2005 où il a fallu attendre plus de 4 ans pour voir le décret publié.

Surtout, on commence dès maintenant à rendre son site/appli/progiciel/truc numérique accessible et pas juste conforme. Et on prend en compte l’accessibilité dès la conception, parce-que, soyez-en sûr : un jour où l’autre, les utilisateurs qui en ont besoin en auront marre d’être traités comme des citoyens de seconde zone.